Corrida

Tribune de Vincent Bouget, conseiller municipal de Nîmes, conseiller départemental du Gard.

Une proposition de loi vient d’être déposée qui vise à l’interdiction en France de la corrida. Élu d’un département où la culture taurine est fortement ancrée depuis des décennies, je m’élève contre cette proposition de loi qui, si elle était adoptée, ferait disparaître une culture, minoritaire, certes mais vivace, sans faire progresser, bien au contraire, ni l’humanité ni la cause animale, ni la cause environnementale.

Mon souhait premier est que le débat qui va donc sans doute s’ouvrir à l’Assemblée Nationale, puisse se faire en connaissance de cause et dans l’écoute des acteurs de la culture taurine dans ses différentes expressions (Corrida, course camarguaise, lâchers de taureaux, etc.), mais aussi des populations locales qui ont construit une part de leurs personnalités dans la relation avec les taureaux. Des artistes et gens de culture enfin qui dans leur expression propre, littérature, peinture, musique, etc… ont donné et donnent encore à la corrida sa pleine dimension esthétique, porteuse de valeurs humaines et artistiques. J’invite tous les parlementaires qui le souhaiteraient à venir à la rencontre de tous ces acteurs, pour mieux comprendre ce qui, à travers l’existence ou la disparition de la corrida, se joue réellement.

En effet il y a dans les arguments employés pour interdire la corrida, beaucoup d’ignorance de ce qu’elle est vraiment. Cela n’est pas anormal : la corrida est implantée en France dans un nombre limité de régions : en Occitanie, en nouvelle Aquitaine, en PACA, sans que tous les départements de ces 3 régions soient tous concernés.

Le sujet est certes difficile, controversé et je le comprends parfaitement : la corrida se termine par la mort publique du taureau, qui en est l’issue nécessaire. Et tous les amateurs de corridas, les aficionados, comprennent ou doivent comprendre que pour des milliers de gens l’idée même de voir (ou même imaginer) un animal combattre, être blessé, puis mourir, est insupportable. C’est une question de sensibilité et de compassion. Mais il faut à rebours comprendre que l’amateur de corridas partage ces mêmes valeurs de sensibilité et de compassion : aucun aficionado, (et ils sont des milliers à le faire à chaque féria à Nîmes, Béziers, Dax, Bayonne, Arles etc.) ne va assister à une corrida pour satisfaire un désir malsain de voir souffrir un animal. C’est la raison pour laquelle aucune étude n’a jamais pu prouver que le spectacle d’une corrida s’accompagnait d’un regain de violences, de comportements agressifs envers des hommes ou des animaux. Au contraire. Et il est faux d’affirmer que ce spectacle provoquerait des troubles chez les enfants qui y assistent. Là aussi, au contraire.

Ce que nous recherchons dans ce spectacle, c’est l’émotion et l’admiration que fait naitre un combat où chaque acteur, le taureau comme l’homme, dans une rencontre unique et par définition sans lendemain, donne le meilleur de lui-même et exprime sa bravoure. Je le dis avec solennité et conviction : la corrida ne consiste pas à supplicier un animal sans défense, mais au contraire à faire combattre un animal naturellement disposé au combat, qui réagit à chaque blessure non par la fuite mais en redoublant ses attaques. Que ce soient les piques, les banderilles, ou l’épée, toutes les blessures imposées au taureau le sont de face, face aux cornes. Le torero n’a pas le droit de donner la mort s’il n’engage pas réellement sa propre vie.

Nous sommes à mille lieux de la mort mécanisée et industrielle, à la chaîne, et dans les abattoirs ; mort froide, silencieuse, cachée et pour ainsi dire honteuse. Ici au contraire, ce qui est recherchée c’est la possibilité donnée au taureau d’exprimer, pleinement, en pleine lumière, sa nature de combattant, né de sa génétique et de conditions d’élevage, pendant 4 ou 5 ans, qui sont un exemple de vie animale idéales et respectueuses. Les élevages d’Espagne, du Portugal ou d’Amérique du sud, les ganaderias sont des espaces libres et immenses, où est même codifié le nombre de taureaux par hectare, pas plus de 3, pour que chaque individu « toro » ait l’espace nécessaire pour développer sa nature profonde, dans un contact minimal avec l’homme avant sa rencontre unique et éphémère avec le torero dans l’arène, sans dressage préalable. Je le dis sans esprit de provocation ni de paradoxe : l’élevage de taureaux de combat à finalité de corrida est, dans les relations entre les hommes et l’animal, sans doute la plus respectueuse.

Soyons clairs : l’interdiction de la corrida se traduira par la fermeture des élevages, privés des ressources nécessaires à leur entretien comme à l’élevage et à la subsistance des taureaux. La reproduction sera interrompue. Quant aux animaux qui y vivent, il n’existera d’autre issue pour eux que l’abattoir. Va-t-on assister aux cris de joie des anti-corridas, prétendant avoir mis fin à ce qu’ils appellent par ignorance, la « boucherie », pendant que des milliers de taureaux attendront leur tour pour entrer à l’abattoir ?

En arrivera ton à ce summum d’hypocrisie ? La mort est-elle plus acceptable quand elle est occultée ?

Le taureau de combat est un animal particulier, qui n’est ni totalement domestiqué, ni totalement sauvage. Il est spontanément agressif si l’on a le malheur d’entrer dans ce qu’il a défini comme son territoire. Certains, dans une ignorance que je ne leur reproche pas s’ils veulent bien entendre, opposent à la corrida la course camarguaise, où le taureau n’est pas mis à mort. Mais il ne s’agit pas de la même race de taureau : le taureau camarguais est plus petit, moins agressif, ses cornes, tournées vers le haut, n’ont pas la même implantation. On n’utilise pas un taureau de combat de race espagnole de 500 ou 600 kilos pour une course camarguaise. Quant à la suppression de la mise à mort à la fin d’une corrida, elle est impossible, l’animal concerné ne pouvant être toréé deux fois : il a trop appris lors de sa rencontre avec le torero et deviendrait dès lors trop dangereux pour l’homme. Ne pas le tuer publiquement aurait pour seule conséquence pour lui la mort dans l’abattoir.

Enfin, et ce n’est pas le moins important, défendre la corrida et les élevages de taureaux est aussi un combat écologique. Défendre la corrida c’est défendre l’une des dernières formes d’élevage extensif existant en Europe, où, je le répète, chaque bête dispose d’un territoire d’1 à 3 hectares. Cet élevage extensif, préservé de la mécanisation à outrance grâce à l’abnégation personnelle et à l’amour du taureau de quelques éleveurs, se font dans des réserves écologiques incomparables de flore et de faune, à l’instar des grands parcs naturels protégés. C’est la présence en ces lieux des taureaux qui permet cela. Supprimer la corrida c’est mettre fin à ces espaces, en les promettant à une agriculture intensive ou industrielle.

Je finis par où j’ai commencé. La corrida est une culture : culture du combat, mise en expression esthétique par les couleurs, l’élégance, la musique, la grâce. Elle nous confronte, dans la lumière du soleil, à la rencontre entre l’humanité et l’animalité, réunis dans une confrontation emplie de vie, de force et de respect où s’assume, en le sublimant, le tragique final. Elle s’exprime sous les yeux de tous, rien ne se passe en coulisse. Elle nous confronte à une part essentielle de la vérité de ce que nous sommes. Elle mérite d’être regardée en face. Comme l’ont fait d’immenses artistes, de Goya à Picasso, d’Ernest Hemingway à Orson Welles.

J’aime la corrida. Je comprends et respecte ceux qui ne l’aiment pas. Je souhaite que le débat qui s’annonce, s’il a lieu, permette de dialoguer et mieux nous comprendre.

Nîmes, le 12.09.2022

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